Texte de Lise Pérot
À la question posée sur la genèse de son spectacle, Sonia Chiambretto répond d’emblée : « tout a commencé par un poème […]. Oasis Love n’est que la poursuite de cette exploration que je mène collectivement, avec les outils qui sont les miens : la poésie et le théâtre. »[1]
Cette « exploration » que mène l’autrice et metteuse en scène, c’est le passage du texte littéraire au plateau du théâtre, avec ce que cela comporte de recherches, d’essais, de surprises et d’errances.
C’est précisément pour permettre et encourager ces expériences que Théâtre Ouvert a vu le jour en 1971, au cœur du Festival d’Avignon. Lucien Attoun, son fondateur, est un homme de radio qui défend corps et âme les dramaturgies contemporaines. Sur France Culture, depuis 1969, avec le Nouveau Répertoire dramatique[2], il offre à l’antenne un espace d’expression aux jeunes auteurs et autrices de théâtre : la voix est la passeuse de textes, qui étaient jusqu’alors inaudibles et invisibles. Il fait littéralement entendre ses contemporains, alors peu reconnus et peu soutenus par les institutions et les maisons d’édition. L’espace radiophonique que Lucien Attoun met à leur disposition est un lieu d’expression inespéré : les manuscrits affluent à France Culture.
Mais ce n’est que le premier pas : les auditeurs ne sont pas encore des spectateurs. 1970, Avignon. Jean Vilar prépare ce qui sera son dernier Festival (il mourra en mai 1971). Il concède à ce défenseur combatif qu’est Lucien Attoun le devoir du Festival de faire une place aux jeunes dramaturges, bien qu’il pense la tâche impossible : « J’ai tout essayé avec les auteurs contemporains, ça n’a jamais marché. Ici (à Avignon), c’est le royaume de Shakespeare ! Je vous mets au défi de créer quelque chose de nouveau. »[3]
La réponse de Lucien Attoun sera le « Théâtre d’essai et de création » (que Jean Vilar renommera « Théâtre Ouvert »). Avec ce projet, lancé avec l’accord de Jean Vilar, Lucien Attoun fait aboutir des années de travail critique, de découvertes, de rencontres et d’engagement auprès des auteur·rices. La collection de pièces inédites, qu’il a déjà créée avec sa femme, Micheline Attoun, donne son nom à cette aventure, dont Jean Vilar dira juste avant sa mort : « il faut suivre l’expérience de Théâtre Ouvert, qui risque de se révéler l’une des plus importantes du théâtre contemporain. »[4] Cette expérience débute en juillet 1971 à la Chapelle des Pénitents Blancs à Avignon.
Pour Lucien Attoun, ce projet est double. D’abord la confrontation du texte au plateau, à laquelle il donne le nom de « mise en espace ». Plus qu’une lecture, mais pas encore une mise en scène, c’est une première approche du texte, portée par des comédien·nes dans un espace donné et présentée à des spectateur·rices après peu de répétitions. Le socle du projet est la mise en relation des auteur·rices, comédien·nes et metteur·ses en scène. « L’auteur de théâtre est l’être le plus isolé de sa création. Un dramaturge, tant que sa pièce n’est pas confrontée au plateau, à l’espace, elle n’existe pas. Je me considère comme un passeur : donner naissance à une œuvre en devenir. »[5] Ensuite, si cette mise en espace est « heureuse », « pourquoi ne pas aller plus loin ? » Théâtre Ouvert va ensuite accompagner les « mises en espace » jusqu’à leurs mises en scène.
Cinquante ans plus tard, le fonctionnement de Théâtre Ouvert n’a pas changé. Les textes qui y parviennent sont lus par toute l’équipe, sélectionnés, accompagnés étape par étape puis présentés au public sous de multiples formes. Il en a été ainsi pour la création d’Oasis Love, écrit et mis en scène par Sonia Chiambretto. Après deux ans de travail et une mise en espace montrée en 2022, le spectacle est présenté au public à l’automne 2023. Et il est encore, à ce moment-là, un théâtre d’essais. « La fin change tous les soirs ! »[6], confie la metteuse en scène.
Décédé le 28 avril 2023, Lucien Attoun n’est plus là pour le voir, mais il a transmis la mission qu’il s’était lui-même donnée, « faire un théâtre qui repose sur la liberté de chercher, de trouver et de chercher encore »[7].
NOTES
[1] Sonia Chiambretto, extrait de l’entretien réalisé par Agathe Le Taillander pour le Festival d’Automne, retranscrit dans le Cahier 3 de Théâtre Ouvert, automne 2023.
[2] Nouveau Répertoire dramatique, émission radiophonique créée et produite par Lucien Attoun sur France Culture, de 1969 à 2002.
[3] Jean Vilar, cité par Joëlle Gayot, « La mort de Lucien Attoun, créateur du Théâtre ouvert et grande voix de France Culture », Le Monde, 28 avril 2023.
[4] Jean Vilar, cité par Lucien Attoun, « Ce qui m’intéresse, c’est la création, le public, les auteurs d’aujourd’hui et le direct », entretien avec Blandine Masson, épisode 3 de la série de cinq entretiens réalisés dans le cadre de l’émission À voix nue, France Culture, 6 juillet 2011. L’intégrale est accessible ici : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-lucien-attoun-l-integrale-en-cinq-entretiens-2011
[5] Ibid.
[6] Sonia Chiambretto, à propos du spectacle Oasis Love, créé à Théâtre Ouvert en septembre 2023, rencontre avec les étudiant·es de l’Université Paris Nanterre et de l’Université Paris Cité, Théâtre Ouvert, 28 septembre 2023.
[7] Lucien Attoun, entretien avec Blandine Masson, voir note 4.
Image en couverture : façade de Théâtre Ouvert
159, avenue Gambetta (XXe arrdt de Paris)
© Christophe Raynaud de Lage
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
La servante (29 novembre 2023). De la mise en page à la mise en espace : le défi remporté de Théâtre Ouvert. La servante. Consulté le 25 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/qqle