Texte de Lisa Gautier
Oasis Love de Sonia Chiambretto réunit en une course poursuite poétique d’une heure et demie les textes – Tu me loves ?, Polices !, et un extrait de Peines mineures, portés par cinq comédiens, une comédienne et la metteuse en scène elle-même, qui prend en charge la lecture de plusieurs documents au pupitre (la scénographie est de Léonard Bougault et la création lumière de Neills Doucet).
Dans une oasis de béton et de boîtes aux lettres, dans le sas d’entrée d’un immeuble ou en haut d’un toit, véritable refuge, cinq jeunes racontent les relations amoureuses en banlieue, et tentent de définir ensemble leur utopie du vivre-ensemble. Pourtant, dans ce début de rêve, on voit déjà en germe la violence, les rapports de force, et des discours qui font autorité. Dans une forme hybride entre le document brut et la réécriture, les témoignages et la poétisation du réel, les comédiens et la comédienne s’époumonent à réciter des listes, répètent des mots comme autant de foulées, ou de coups de feu.
Dans une descente du haut des toits jusque sur le trottoir, le pavé, l’atmosphère devient dense, la fumée prend de plus en plus de place, et la lumière des gyrophares prend peu à peu le dessus sur le rose pâle du coucher de soleil. L’univers utopique aux allures « vaporwave » se fond tout à coup dans le noir de la nuit, et les cinq jeunes, accompagnés par des documents d’archive et des témoignages, enfilent un à un le brassard orange fluo. Le vaporwave, genre musical et artistique, a été défini par Simon Reynolds dans son livre Rétromania comme « se rapportant à la mémoire culturelle et à l’utopisme enterré sous les marchandises capitalistes, en particulier celles liées à la technologie grand public dans le monde du divertissement informatique et audiovisuel »[1]. D’abord critique dystopique du capitalisme, il dépeint finalement un espoir d’oasis au milieu de ce béton bordé de palmiers en plastique, orné d’un coucher de soleil. Cette esthétique, entre espoir de l’utopie, esthétisation et poétisation de l’univers des grandes villes, et mélancolie d’un monde en descente vers la dystopie, est très présente aujourd’hui dans les clips vidéo et la culture internet et vidéo-ludique ; elle est notamment utilisée dans des jeux comme Grand theft Auto V de l’éditeur Rockstar Games, se déroulant dans l’État fictif de San Andréas, en Californie du Sud, entre course poursuite sous les coups de feu et bord de mer sous les étoiles.
C’est par la poétisation de l’espace des cités et de son langage que Sonia Chiambretto se rapproche du style vaporwave, sans doute inspirée par une jeunesse adepte de ces esthétiques numériques : proposant une alternative à ce désert de béton en construisant l’oasis, le spectacle n’en omet pas pour autant le caractère fantasmé, illusoire. Par la création puis la négation de cette utopie, par l’équilibre entre le document brut et la poésie, la représentation de la jeunesse et des forces de l’ordre, Sonia Chiambretto tente de nous offrir une vision contrastée, remettant en question les jugements préétablis, essayant de trouver un juste milieu, une zone grise à mi-chemin entre les deux mondes, lieu propice à la réflexion.

Oasis Love – utopie
Images générées avec DALL-E et Lexica

Polices ! – dystopie
Images générées avec DALL-E et Lexica
NOTES
[1] Simon Reynolds, Rétromania : Comment la culture pop recycle son passé pour s’inventer un futur, trad. Jean-François Caro, Marseille, Le mot et le reste, 2012.
Image à la une : Oasis Love
Création à Théâtre Ouvert le 18 septembre 2023
dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
© Christophe Raynaud de Lage
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
La servante (20 décembre 2023). Visite de l’oasis, entre utopie et dystopie. La servante. Consulté le 18 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/veyu